L’essor du financement alternatif en Afrique

Longtemps considérée à la traîne, l’Afrique semble enregistrer un regain important pour la finance alternative ces dernières années. En 2018, selon le Global Alternative Finance Market Benchmarking Report [1] du Cambridge Centre for Alternative Finance (CCAF), le marché a levé 209,1 millions de dollars sur le continent. Cela représente une augmentation de 102 % par rapport au volume de 2017, qui s’élevait à 103,8 millions de dollars, d’autant plus impressionnante qu’en 2013, son volume était seulement de 44,4 millions de dollars.

Malgré ce développement rapide, le marché de la finance alternative africain reste encore relativement nouveau et modeste. Sur le continent, elle est fortement reliée à la problématique de l’inclusion financière dans le sens où elle participe à démocratiser l’accès au financement de divers groupes. Des études suggèrent que la microfinance, ou encore le crowdfunding adapté sous certaines conditions, pourrait présenter un levier important pour le développement économique et social de l’Afrique.

Entre modèles formels et informels des formes de financement alternatif

Comme le définit le Cambridge Centre for Alternative Finance (CCAF), la finance alternative se réfère aux processus et instruments financiers qui ont émergé des suites de la crise économique et financière de 2008 à l’origine d’une certaine défiance vis-à-vis du système bancaire traditionnel et des marchés de capitaux. Elle encourage ainsi une réappropriation de son argent au profit d’une économie réelle, de proximité par la mise en service d’outils, le plus souvent digitaux, de collaboration financière.

Les solutions de financement liées à cette nouvelle forme de financement changent d’un pays à un autre. En Afrique, il apparait que les plateformes informelles semblent bénéficier d’une plus grande popularité par rapport aux plates-formes de financement participatif formalisées, notamment en raison des coûts et d’un manque de confiance. En effet, les collectes de fonds se font notamment via les réseaux sociaux (comme WhatsApp, Facebook) qui sont ouverts à tous, ou par des transferts d’argent via téléphone portable. Par ailleurs, une majorité des services de microfinance est aussi liée à l’informel – à l’image des « tontines » ou des « banquiers ambulants » – dans des régions où l’inclusion bancaire est très faible. Néanmoins, des ONG et, depuis quelques années, des banques, concurrencent ces secteurs informels en développant des offres et services dédiés.

La microfinance, un accélérateur d’inclusion financière

Depuis son apparition dans les années 70, la microfinance ne cesse de proposer des services financiers adaptés aux plus démunis, surtout en Afrique où le taux de bancarisation est estimé à seulement 15%. La Banque africaine de développement suggère que la digitalisation des services financiers, entamée depuis une décennie, participe à accélérer cette inclusion financière. C’est notamment dû à l’essor des entreprises FinTech ou des opérateurs de réseaux mobiles qui proposent des produits et des services numériques innovants. Parallèlement, les banques et les institutions de microfinance traditionnelles s’engagent, elles aussi, de plus en plus dans cette numérisation. Par exemple, selon l’enquête du Consultative Group to Assist the Poor (CGAP) sur l’inclusion financière (FII), en 2017, la plupart des Ivoiriens qui accèdent aux services financiers formels le font via le mobile money. De plus, presque tous les adultes qui utilisent les services financiers des institutions financières traditionnelles (banques et IMF) utilisent également le mobile money.

Toujours selon la Banque africaine de développement, la crise du coronavirus a contraint les institutions financières à accélérer l’adoption de solutions numériques, afin de réduire les contacts physiques entre leur personnel et leurs clients, mais aussi pour diminuer les coûts dans un contexte de réduction des volumes d’affaires, des taux d’intérêt et, dans le cas des prêteurs, de risque de crédit accru. Aussi, ce processus s’accompagne, à des degrés divers, de mesures prises par les régulateurs pour promouvoir les transactions et les services de paiement numérique, ou encore d’une virtualisation de la main-d’œuvre. En effet, comme l’alerte le CGAP, le développement du mobile money peut amener à l’apparition d’une fracture numérique, dans laquelle les différences de compétences numériques de base vont conduire à des écarts dans l’accès aux comptes et aux services financiers. Les politiques ont donc une responsabilité première pour développer les compétences numériques et financières de base, tant pour les enfants, dès l’école primaire, que pour les adultes. Il est également suggéré de promouvoir des canaux alternatifs comme les réseaux d’agents bancaires.

Le Crowdfunding, un levier de développement

Alors que près de la moitié des PME et startups africaines souffrent d’un accès aux financements, selon Thierry Barbaut, consultant en stratégie digital en Afrique et en charge de la stratégie numérique pour La Guilde, la création d’un cadre favorable au développement du crowdfunding permettra à l’Afrique d’apporter de nouvelles sources de financement adaptées aux besoins de ces entrepreneurs :

  • Les plateformes de crowdfunding en prêt et en investissement se révèlent être une solution efficace de par leur accessibilité, la rapidité de leur mise en œuvre et leur gestion mutualisée des risques pour renforcer les fonds propres des entreprises et financer leurs besoins de fonds de roulement.
  • L’equity crowdfunding apporte une solution de financement en capital adaptée aux startups et aux projets innovants qui manquent de financement à cause de leur caractère risqué. C’est également un outil promotionnel puissant permettant aux projets de rayonner au-delà des frontières de leur pays d’implantation.
  • Le crowdfunding comble un vide dans la chaine de financement des entreprises (equity gap) en finançant les startups et les PME dans les premières phases de leur développement (amorçage, R&D, création etc.). Ainsi, les entreprises pourront bénéficier d’un effet de levier et accéder à d’autres sources de financement plus conventionnelles (banques, fonds d’investissement etc.).

Il a été montré que la croissance du marché de la finance alternative africain s’explique en partie par une amélioration de l’environnement réglementaire ces dernières années. En 2020, trois pays, à savoir l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, ont adopté un cadre juridique qui encadre les activités de financement collaboratif, ce qui représente un avantage unique pour le développement des écosystèmes FinTech nationaux. Néanmoins, la règlementation de cette activité demeure encore un enjeu majeur pour le continent.

A l’heure actuelle, le crowdfunding participe pleinement à la lutte contre le Covid-19 en Afrique. Par exemple, au Burkina Faso une plateforme de financement participatif baptisée Coronathon a permis à plusieurs acteurs, parmi lesquels des membres du gouvernement, des patrons de grandes firmes et de TPME ainsi que la loterie nationale burkinabée, de contribuer massivement à la gestion de crise du Covid. Par ailleurs, l’Association des plateformes de crowdfunding en Afrique s’est elle aussi mobilisée pour contribuer aux levées des fonds en faveur de la lutte contre l’épidémie.

Comme le souligne l’Agence française de développement, la microfinance est aujourd’hui une composante essentielle du système financier dans les pays du Sud, mais elle a encore de nombreux défis à relever, à commencer par rester un outil au service du développement et de l’inclusion financière des populations, tout en maintenant l’équilibre entre sa mission sociale et sa viabilité économique.


[1] Ce rapport regroupe les informations de plus de 1227 entreprises dans les 185 pays regroupés par régions, en collaboration avec des partenaires de recherches.

Par Jenny Sandra Randriamaherimanana

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